A la Haute Pierre…
La tension monte entre les mystérieux habitants du château de la Haute Pierre et leurs pieux voisins de l’abbaye. Caym se doit de guider Eurynome sur les chemins de la vérité.
La bibliothèque de Caym n’était pas aussi importante que celle dont Michel avait l’accès bien sûr mais ses ouvrages intéressaient beaucoup le jeune Eurynome. Alors que ce dernier n’avait connu comme seul lecture que la parole des évangélistes, il découvrit chez Caym des auteurs à l’ouverture d’esprit d’une grandeur jusqu’alors insoupçonnée par le jeune homme. Des ouvrages de philosophie Grecque aux Manuscrits Chinois en passant par les récits démoniaques de certains écrivains Italiens, Eurynome pouvait alors se faire une véritable idée de la pensée humaine à travers le monde.
Le temps passe très vite sans les soucis. Nous sommes en 1223. Etrangement, personne ne vieillit ni ne meurt dans ce château où l’on continue à festoyer pendant que les hameaux des alentours souffrent de la disette. Eurynome est désormais Chevalier ; il a toujours cette apparence de jeune homme et le seigneur de Parroy est toujours aussi fermement installé sur son trône. Eurynome s’est attaché à cette servante qui travaille aux cuisines du château depuis 6 ans. Son tempérament solitaire l’empêche de se marier avec, il a peur de s’attacher d’avantage et de toutes façons, la politique du château est contre le mariage.
Dans l’Abbaye, on ne supporte plus les agissements du seigneur de Parroy. Un groupe d’abbés et de grands personnages de l’église sont réunis. Pour les présider : Michel, accompagné d’un homme habillé de la même façon aux cheveux longs et blonds. Ce dernier s’adresse à l’assemblée :
« La fin du règne d’Aubert de Parroy est arrivée ! Nous avons crée ce monastère pour faire reculer le mal de cette contrée et le voici qui nous nargue en voisin depuis un siècle ! La protection que lui assurait l’ancien duché n’est aujourd’hui plus de mise ! Le nouveau Duc est des nôtres et je compte bien, avec votre accord, utiliser son armée pour déloger ces créatures !
Mais pourquoi ne pas utiliser votre propre armée monseigneur ? – Dit un vieux prêtre.- Notre armée ne peut être utilisée pour un si petit conflit local, l’armée de Matthieu sera amplement suffisante pour balayer ces monstres. De plus, cette région est sous sa juridiction. »
L’assemblée se lève et quitte la salle. Seuls Michel et l’homme aux cheveux blonds restent assis. Michel lui adresse la parole.
«Pourquoi vouloir absolument les détruire ?
Comment oses-tu poser cette question ? Ce sont nos ennemis !
– Ils ne nous ont jamais posé de problème.
– Ils nous défient en s’installant en plein milieu de la croix monastique !
– En es-tu sûr ?
– Ta compassion envers cette vermine te jouera de mauvais tours Michel !
– Ta haine t’aveugle Gabriel. »
Le soleil se couche sur les tours de la forteresse de Haute-Pierre. Assis sur un contrefort, Caym et Eurynome observent en silence cette boule incandescente s’écraser derrière les forêts de la vallée.
« Ne trouves-tu pas trop facile le fait de se complaire dans l’ignorance Eurynome ?
– Pardon ?
– Le fidèle chrétien vit dans l’ignorance. Il croit en des écritures qu’il n’a jamais lu de peur de déplaire à une puissance supérieure. Alors que la vérité est écrite au quotidien sous ses yeux. Dans chaque objet, dans chaque animal, dans chaque plante, dans chaque élément.
– Je ne laisse aucun écrit guider ma pensée…
– Mais tu oublies quand même de regarder devant toi ! Vois tous les chevaliers du château, aucun n’a vieillit depuis ton arrivée il y a plus de 4 décennies. Quand au seigneur de Parroy, voici plus d’un siècle qu’il est sur son trône. Rien de tout cela ne te semble étrange ?
– Je ne sais pas, j’éprouve un sentiment de bien-être avec vous. Je me sens enfin avec une famille. Ces détails m’importent peu.
– Et bien il serait temps que tu saches qui tu es réellement… »
Caym s’interrompt brusquement. Il regarde fixement l’entrée de la vallée en direction d’Etival. La colère sur le visage, il se retourne vers le donjon et, d’un saut prodigieux, atteint la fenêtre de la salle du trône pour prévenir le sir de Parroy.
« Aubert, une légion d’anges !
– Quoi ?
– Il me semble que Matthieu est à leur tête ! C’était à prévoir, préparez-vous tous à l’attaque »
Eurynome n’a pas bougé du contrefort sur lequel il est assis. Fasciné, il observe ce vol d’êtres ailés habillés de blanc dont le regard, à la fois terrifiant et fascinant, ne lui est pas étranger… Une main s’appuie sur son épaule. Eurynome se retourne et découvre avec effroi un être noir, cadavérique, couvert de cornes, de griffes et de pointes, munis de deux ailes semblables à celles des chauves-souris et dont les yeux noirs et sans expression reflètent le visage pétri de stupeur du jeune homme.
« J’aurais préféré que tu découvres cela dans d’autres circonstances. Mets-toi à l’abri tout de suite !» lui dit la créature.
C’était la voix de Caym. Armé d’une épée à deux mains il s’envole vers l’armée blanche, sitôt suivi par une dizaine d’autres créatures de la sorte. Le bruit provoqué par le claquement de leurs ailes fait frissonner Eurynome qui, toujours paralysé par cette vision, s’agrippe au contrefort comme pour ne pas être happé par la sombre envolée qui progresse vers l’horizon.
La stupeur passée, tout devient clair pour Eurynome : les paroles prononcées par l’homme en blanc pendant son jeune âge prennent tout leur sens. La puissance des messagers divins, les anges et leur combat contre le démon n’est plus, comme dans l’Apocalypse de Jean, une simple métaphore. La scène se déroule là , à la forteresse de Haute-Pierre, sous les yeux d’Eurynome. Que fait-il en plein coeur de cette bataille ? Laquelle de ces deux castes doit-il craindre ? Doit-il être spectateur, acteur ou même victime ? Comment Mener une existence normale après cette vision ?
Autant de questions qui frappent simultanément l’esprit de celui qui, quelques minutes auparavant, se complaisait dans l’ignorance.
Fin du premier chapitre.