L’illumination de Berta

Une illustration datant d’Août dernier où je sors de ma zone de confort…

Dans le cadre des « nouvelles illustrées » sur le forum BD Amateur, les utilisateurs mettaient en commun leurs talents : certains écrivaient et d’autres illustraient ces écrits. Etant plus à l’aise avec le trait qu’avec les mots, j’ai choisi de rester du côté des illustrateurs et j’ai choisi la nouvelle de Mr K : « l’illumination de Berta », un récit poignant, aux antipodes des thèmes que je traite habituellement dans mes dessins. Du coup, étant déjà hors de ma zone de confort, j’ai décidé d’y aller franchement, en m’essayant à un style différent. Le dessin est toujours fait sous Illustrator, mais j’ai volontairement limité les couleurs utilisés (le vert et la lumière sont des éléments principaux du récit) et j’ai adopté un style plus réaliste que d’habitude, assez sobre et dépouillé (je trouvais que ça collait bien avec le côté froid du vert et la tristesse du texte). Bref, je vous laisse découvrir la nouvelle, son illustration, et vous invite fortement à visiter le blog de Mr K., qui est également dessinateur de BD et bourré de talent : http://elukubration.blogspot.fr/

 

 

L’illumination de Berta.
 
 
C’est à un néon vert que pensait Berta.
Il faisait froid à faire mourir des serpents, sa famille avait été massacrée, transformant sa maison en abattoir communal, et ses jambes en bouillie prenaient de dangereuses couleurs violacées, jaunies, bleuâtres, purpurines, et même noirâtres. Elle ne pouvait qu’à peine se traîner pour se sortir de cet endroit sordide. Mais Berta pensait à un néon vert.

Un magnifique et, pour elle, énigmatique, presque mystique, tube phosphorescent à la lumière délavée partant d’un blanc safrané et crasseux pour prendre peu à peu dans la pénombre angoissante de sa maison meurtrie au coucher d’un jour cauchemardeux, des teintes olivâtres, glauques mais signifiant dans son cœur une faible et statique lueur d’espoir.

Cela aurait pu être le nouvel aspect du Graal, du sang divin, du sang roi, venant d’un au-delà incertain lui apporter l’aspiration d’un temps meilleur, d’un temps où enfin son destin allait basculer vers la pureté. Mais dans son corps violenté, détruit, outré, profané, au terme d’une existence crucifiée sur un autel de souffrances, de désillusions et d’infernales nuits, comme si sa vie entière ne fut qu’un long tunnel sans issue, elle ne parvenait pas à imaginer la virginité d’une blancheur ivoirine, et un néon verdâtre et faiblement lumineux était la source la plus immaculée qu’elle puisse concevoir. Dans son esprit, et encore moins de ses yeux, elle n’avait jamais vu ou imaginé quelque chose de plus beau.

C’est dire combien elle n’avait entrevue que choses laides, ignobles et éperdument obscures.

Elle voyait à présent très distinctement ce néon vert, devant elle, comme suspendu dans l’air, l’illuminant d’une froide lumière qui pourtant réchauffait ses pupilles et, de là, son cerveau, son cœur, son vagin humilié et ses jambes détruites.

Elle oubliait tout ce qui l’entourait, de sa sœur et sa mère étranglées et violées à son père torturé par plaisir ou ses frères passés par la baïonnette. Elle oubliait peu à peu la guerre, les pillages, les bombes, les soldats meurtriers, vicieux et sans âme. Elle oubliait huit années d’affrontement sans fondement, commencé bien avant sa naissance, opposant des rivaux que dans sa campagne personne ne connaissait. Elle oubliait combien les hommes de son village pouvaient être pires que les soldats. Combien son propre père avait pu lui faire subir de plus pénibles outrages. Combien sa propre mère en avait fait une esclave privée d’affection. Elle oubliait la faim qui avait marqué son très jeune et malingre corps, année après année. Elle oubliait les coups de ses frères. Les pierres de ses jeunes voisins. Le crachat des vieilles femmes bouffées par la haine.

Elle oubliait le bruit de bottes des soldats qui étaient repartis piller et détruire d’autres villages. Elle oubliait le sang dans lequel elle baignait. Elle oubliait les murs délabrés. L’odeur de mort aux rats, de sueur, de crasse et de misère. Les nuages noirs. Les couteaux rouillés. Les maladies assassines. Les blattes et tous ces insectes rampants et visqueux qui lui avaient toujours semblé être les espèces les plus humaines de cette pauvre terre ; ses seuls amis, malheureusement sourds, dénués de parole et de réconfort. Elle oubliait la peur perpétuelle. La peur de tout. La peur dévorante mais à laquelle, à huit ans, elle s’était déjà habituée, au point de trouver dans ce sentiment une forme archaïque de bien-être. Elle avait fini par comprendre que ces moments où rien ne se passait et où, seulement, elle redoutait le mal que l’un ou l’autre allait lui faire étaient ses seuls instants de répits. Mais cela aussi elle l’oubliait.

Elle oubliait tout et chaque chose. Elle ne voyait plus que ce néon superbe, cet ange blême, ce sauveur verdâtre. Il venait pour elle, pour lui offrir une nouvelle vie, pour la délivrer de l’enfer pouilleux, incestueux et inhumain. Il lui semblait entrer dans cette lumière, seule source de luminosité à présent que la nuit était totalement tombée. Sans aucun effort et malgré ses jambes en charpie, elle se leva pour avancer vers Lui. Elle baignait alors dans ce rayonnement scintillant. Illuminée, les bras en croix, mains ouvertes, telle une sainte martyre. Le Ciel s’ouvrait à elle. Elle se sentait guérir. Ses plaies, internes et externes, se refermaient. Ses yeux pleuraient de joie. Pour la première fois de sa brève existence de petite fille. Elle atteignait la Béatitude. Son cœur, qui jusque là avait fonctionné comme en demi-régime, comme en sourdine, se mettait à battre comme mille tambours annonçant le retour du Christ-Roi, venu châtier les mauvais et récompenser les âmes souffrantes, les âmes pliées en deux, les âmes victimes. Tout autour de Berta, les trompettes se mirent à sonner, des milliers d’anges commencèrent à descendre du ciel et les chœurs célestes entonnèrent des chants de félicité. Face à elle, elle vit le signe de la Sainte Trinité posé sur la tête d’un agneau enflammé. Et il tenait dans sa bouche la couronne d’épine du Fils. Elle avançait vers sa délivrance.

Puis le néon vibra, trembla, siffla dans un bruit d’électricité, et s’éteignit. Berta sentit une atroce douleur monter depuis ses jambes campées sur ses os brisés et parcourir le moindre de ses nerfs, faisant griller chacune de ses terminaisons. Ses yeux encore éblouis se retroussèrent. Son esprit vacilla. Mais elle ne mourra pas.

Elle serait encore agonisante au retour des soldats.

 

Fin de l’été 2001.

 

 

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Commentaires: 2 commentaires

2 réactions sur “L’illumination de Berta”

  1. JGab dit :

    je dois avancer sur l assemblage de ce livre… ( je laisserais deux version PDF avec ou sans couv ( pour l imprimeir lulu en ligne qui demande un document interieur ) le pdf pourra etre mis a dispo. j ai mis le lien quelque part …
    je suis pas loin du burn out faut de bien m organiser , ( le mal de corriger , je commence seulement a me remettre sur des lunettes neuves
    bref désolé si je cause des aléas dans l attente de tout le monde ;'(
    amitiés 🙂 Jgab 🙂

  2. JGab dit :

    la version niveau de gris est bien aussi , sur la version impressio eco que j ai eue ! allez 🙂

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